ARTICLES PARUS DANS

Le Savoyard Libéré

 

J'ajoute que je continue a publier dans ce bulletin de liaisons de la FNDIRP et qu'il suffit de me contacter pour en avoir la teneur. Je ne peux écrire tous ces articles dans ce site la place manquant...

2014

Pour le 70è anniversaire

de la LIBERATION

Michel Germain écrit  une vingtaine d'articles

rappelant ce que furent les principaux événements

de cette année 1944

 

 

 

 

Titres des articles:

1. Année 1944 intro

2. janvier 1944

3. février 1944

4. Georges Guidollet (Ostier) "nécrologie"

5.editorial "mméoire que deviens-tu ?

6. Les Glières

7.Des cendfres renaît l'espérance...

8. Les grandes rafles du printemps

9. Encore un terrible mois de juin

10.Juillet encore un mois sanglant

11.Combats pour la libération 1

12.Des villages martyres

13.Des combats pôur la libération 2

14.Reconstructiuon et épuration

15. Les combats continuent

16. La France est entièrement libérée

17. notes de lectures diverses

Vous pouvrez obtenir ces articles en me contactant directement

 

 

 

 

 

ANNEE 2012

L’ARRESTATION DU COLONEL LELONG, Dernières découvertes

 

            Grâce à Michèle Dekyndt, nièce de Jean Seliade, « aide de camp » du colonel Georges Lelong, nous en savons un peu plus sur l’arrestation de l’Intendant de police qui sévit en Haute-Savoie du 31 janvier 1944 au 5 mai de cette même année.

            Dans les jours qui précédèrent son procès devant la Cour Martiale siégeant à Annecy, le bruit a couru, très fortement que le colonel s’était rendu de lui-même, n’ayant rien à se reprocher. Il est probable que c’était son intérêt et la rumeur fut-elle, peut-être distillée par ses défenseurs, afin d’amadouer les juges.

Aujourd’hui, nous pouvons détailler quelques peu cette arrestation. Le colonel de gendarmerie Georges Lelong était à Périgueux, puis il commanda le G.M.R. à Aincourt, commune de Seine et Oise, où le 5 octobre 1940 avait été créé dans l’ancien sanatorium un camp pour internement de personnalités politiques. Jean Séliade, entré dans la police le 16 janvier 1943 sur « recommandation de chefs résistants » avec comme pseudo Deliase, est chargé par ses chefs de suivre le colonel de Périgueux à Aincourt. Lorsqu’en janvier 1944, Lelong est nommé à Annecy, Jean Séliade le suit toujours. « En janvier 1944… écrit-il, j’étais en permission et à mon retour je rejoints sur ordre la préfecture de Haute-Savoie. Je suis attaché à son service comme secrétaire. La direction quitte la Préfecture et s’installe « Villa des Romains ». Je sais que la lutte va commencer dans 48 heures… » Jean réussit à faire parvenir l’information via la propriétaire de la Villa, madame Verdel. « … Quelques jours plus tard, intrigué par les allées et venues du gendarme Guillaudot de la brigade d’Annecy, je lui pose la question de confiance et après avoir vu des preuves de bonne foi (photos du Plateau des Glières, cigarettes, pistolet Colt) je lui remets des laissez-passer permanents timbrés et signés au nom de Lelong pour les réfractaires de la région. En outre, tous les renseignements émanant de Vichy étaient transmis aux réfractaires par l’intermédiaire de Guillaudot ainsi que tout ce qui concernant les opérations journalières.

Lorsque j’ai connu les préparatifs de l’attaque des Glières, j’ai averti personnellement le capitaine Marquet, du 27è B.C.A. devant le cimetière d’Annecy. Je lui ai fourni toutes les indications que je possédais sur les effectifs qui allaient être mis en ligne ainsi que l’ordre de bataille et la participation de l’aviation.

Parti le 1er mai, voir mon enfant malade, je me suis mis en relation avec l’A.S. des Mathevies, chef Balapoux qui m’a chargé de savoir les effectifs allemands de passage à Brive (Corrèze). Rentré à Aincourt le 27 juillet j’ai retrouvé le colonel Lelong… »

            En août, devant la nouvelle situation, le colonel Lelong se rend à la direction des G.M.R. (et pourquoi pas à la Gendarmerie nationale lui qui est colonel de gendarmerie ?) rue des Saussaies, où le commissaire Lecoze veut l’arrêter. Lelong prend la fuite. Jean Séliade, apprenant cela, sait où le trouver et il se rend rue de l’Observatoire où le colonel a un appartement. Il apprend que l’ancien Intendant de police de Haute-Savoie veut rejoindre Sigmaringen ; les bagages sont prêts. Jean décide de partir avec lui en camion. Arrivé dans les environs de Lagny, Jean simule la panne. Il connaissait à Lagny le commandant Suri. Il convainc Lelong que les G.M.R. qui cantonnent là vont pouvoir réparer le véhicule et qu’en attendant il faut passer la nuit sur place, dans un hangar avec le camion, engin très précieux en ces temps de troubles. A 6 heures du matin, les G.M.R. de Lagny viennent arrêter Lelong.

            Ce récit est corroboré par un procès verbal de l’interrogatoire de Séliade par le policier Moronval, bureau 166, de la rue des Saussaies à Paris.

            Cette information montre bien que le colonel se sentait coupable, puisque, cherchant à fuir en Allemagne il avait compris que sa situation était mal engagée. D’autre part nous apprenons que dans l’entourage même du colonel se trouvait un résistant (action résistante attestée par le général Mollard) et nous comprenons beaucoup mieux le rôle joué par le gendarme Guillaudot dans cette année 1944.

IL Y A 70 ANS :

LES TROUPES ITALIENNES OCCUPAIENT LA HAUTE-SAVOIE

 

Dimanche 29 novembre 1943

Le samedi 7 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. L'opération "Torche" bat son plein. Les Alliés y pensaient depuis longtemps. L'opération avait été arrêtée dans ses détails le 27 juillet 1942. Il fallait, selon le président Roosevelt, "fermer les ports d'Afrique à l'ennemi". De plus, ce débarquement au Maghreb, en corrélation avec le succès britannique sur l'Afrika Korps, donnerait, le moment venu, la possibilité de lancer une attaque contre "le ventre mou" de l'Europe. L’opération Torche, c'est 290 navires et 110 000 hommes. Les troupes de Patton débarquent au Maroc, celles du général Fredenhall débarquent à Oran et celles du général Ryder à Alger. Si la résistance française est vive à Casablanca, à Alger, des hommes de la France Libre ont pris la ville blanche, afin d'aider les Alliés attendus.

A Annecy, dimanche 8, le commandant Vallette d’Osia, chef d’état-major départemental envoie le 27è B.C.A. en avant de la ville, conformément aux directives de l’O.R.A. (De Linarès), confirmées par l’ordre 128/EMA/3 qui prescrit la mise en marche des troupes dès le franchissement de la ligne de démarcation par la Wehrmacht. Les unités doivent faire mouvement vers les régions montagneuses. Et de fait, Hitler donne l’ordre d’invasion de la Zone sud.

                Le Feldmarchal Gert von Rundstaedt mène l’opération Anton avec célérité. Dans le cadre d’accords germano-italiens, il a été prévu que les départements frontaliers de l’Italie soient occupés par l’armée italienne. Si l’on examine la nouvelle carte des zones d’occupation, on découvre donc que de la Haute-Savoie aux Alpes Maritimes va désormais stationner l’armée italienne. Tous les territoires à l’est du Rhône, sauf les Bouches-du-Rhône et la région de Toulon, mais plus le sud-est de l’Ain sont occupés par les hommes de Mussolini.Il s’agit de la 4è Armatta commandée par le général Mario Vercellino. S’il établit son PC à Nice puis à Menton, il divise la zone en deux grandes parties : la Provence et la Côte d’Azur données au général Romero et les Alpes, au nord, confiées notamment à la 5è Division alpine Pusteria du général di Castiglioni, installé à Grenoble.

Le soir du 16 novembre, Philippe Henriot, invité par le Service information, prêche au théâtre d'Annecy. "...Si tous les Français l'avaient suivi aveuglément, la France ne connaîtrait pas les heures qu'elle vit actuellement... Le maréchal obtint dans l'armistice quelque chose de prodigieux, que la France garde intacte sa flotte et son empire. Qu'en reste-t-il ? Nous avons tout perdu, parce que tout a été volé par de prétendus libérateurs ou vendu par de prétendus français... Le seul moyen d'échapper au malheur, c'est de se serrer autour du chef, de l'homme qui incarne notre Patrie... (Notre) devoir est de faire entière confiance en notre chef et de le suivre aveuglément..." Dans la salle, au premier rang, on remarque, le préfet Dauliac, le chef départemental de la Légion, Antonin Vergain, Leray, délégué régional à l'information, le docteur Montel, premier adjoint au maire et Jean Courtassol délégué départemental, qui sera bientôt nommé délégué régional adjoint par Paul Marion, secrétaire d'état.    

 

Le 19 novembre, Hitler donne l’ordre à la Wehrmacht de s’emparer de la flotte de Toulon (opération Lilas). On connait la suite. Le 27 novembre, la Marine française, un des fleurons des marines mondiales, se saborde ! La dissolution de l’armée d’armistice est dans l’air.

                A Annecy on n’a pas perdu de temps. Le bataillon est revenu au quartier de Galbert avec comme ordre du commandant de faire disparaître un maximum d’armes et d’équipent divers. « Depuis le début de cette affaire, m’a confié un jour le général Vallette d’Osia, j’ai commencé à organiser la disparition des armes. Il n’était pas question de remettre notre armement à l’ennemi… » Entre le 20 et le 27 novembre, douze gars du futur mouvement des Evadés, déménagent la manutention de tout ce qui peut servir à l’ennemi : 5 000 litres d'essence, notamment, sont cachés dans différents dépôts, sous forme de jerrycans de 20 litres ou de fûts un peu plus volumineux. On cache également du sucre, du riz et des effets militaires, qui seront par la suite distribués au maquis des Glières.       

Le 27 novembre à 9 heures et quart du matin, les Italiens entrent à Chambéry, tandis que l’ordre de démobilisation du bataillon parvient au quartier annécien. L’évacuation d’armes, de munitions, de matériel de cuisine ou de couchage, d’effets militaires se poursuit sans cesse.

Samedi 28, samedi de novembre le plus triste qu'il ait été donné de voir depuis bien longtemps en Haute-Savoie. Le brouillard rampe sur le lac et le ciel blanc est si bas que la brume lèche l'écume des vagues. Les chasseurs déménagent de la literie, qui est momentanément stockée dans l'usine à gaz, boulevard Decoux. Seules les armoires, fixées aux murs, ne peuvent être embarquées. Les magasins des compagnies sont vidés.

Certains chasseurs, passant outre les ordres, sortent armes et munitions. Des draps, des couvertures, des matelas sont jetés par dessus le mur d'enceinte de la caserne et sont récupérés par des Annéciens prévenus. Rue des Alpins, on a même vu un homme avec un tombereau à cheval, qui chargeait des matelas. (Ces « vols » d’armes et de matériels divers, répartis dans une trentaine de planques dans tout le département, vont entraîner la condamnation du commandant Vallette d’Osia qui refuse de les livrer aux Italiens et au préfet Dauliac et son entrée dans la clandestinité en décembre). A noter que ces évacuations se poursuivront même lorsque le quartier militaire sera occupé par les alpini. Ceux-ci arrivent à Annecy le dimanche 29 novembre soit trois semaines après le débarquement en Afrique du Nord. 

La nuit venue, le plus gros du matériel est sorti et les derniers chasseurs peuvent amener l'étendard national, tandis que les deux compagnies de chasseurs alpins italiens s'installent, comme elles peuvent dans le quartier désert. L’Hôtel d’Angleterre, qui fut le siège de la commission italienne d’armistice, accueille les officiers et l’état-major de la Haute-Savoie. Il s’agit notamment des hommes du 11è R.I.

Les chasseurs alpins italiens, après Annecy, s'installent dans tout le département. Une grosse section prend position à la Roche-sur-Foron, une autre loge au collège, de Bonneville. Une compagnie arrive à Cluses, dimanche après-midi. Les officiers s'installent à l'hôtel Central, tandis que des alpini arrivent à Annemasse et à Thonon.         

 

Qui est cet occupant ?

 

L’occupation militaire du département est des plus classiques. Pour l’officier qui commande ces troupes, le lieutenant-colonel Giovanelli, il s’agit avant tout d’assurer la sécurité de ses hommes et ensuite de répondre aux exigences de Rome et Berlin concernant le pillage des marchandises. En effet durant l’occupation, des trains partent régulièrement pour l’Italie ou l’Allemagne, emportant du lait condensé, de l’aluminium, des chaussures, de la viande ou du blé, des vêtements ou tous autres produits dont les vainqueurs estiment avoir besoin.

La 5è section de la Commission d’armistice qui siège à l’hôtel d’Angleterre est chargée des contrôles multiples et variés sous les ordres du lieutenant-colonel. En janvier 1943, l’occupant renforce ses effectifs dans le département. Il renforce notamment les douaniers à la frontière suisse. Ces douaniers sont souvent remplacés ou doublés par la « Garde des finances » armée. Les passages des Juifs de l’autre côté des barbelés est de plus en plus difficile. Et il vaut mieux ne pas se faire prendre. Les interceptés en Suisse, juifs ou non, sont internés dans des camps helvétiques, pas toujours à la hauteur de la réputation helvétique. Sur l’attitude de la Confédération, il y avait tant et tant à dire que les historiens helvétiques s’y sont attelés très récemment.

J’ajoute que pour les Italiens, la future chasse aux réfractaires en 1943, dont nous reparlerons, n’est pas un objectif prioritaire.

Quant à l’attitude des populations savoyardes par rapport à cet occupant, elle est très spéciale. On peut dire que les gens n’ont jamais pris au sérieux ces occupants italiens. En effet nombreuses sont les familles qui ont de la parenté de l’autre côté des Alpes et nombreux sont les soldats qui peuvent avoir des parents ici. C’est pour cette raison que l’Etat-major italien a toujours cherché à envoyer dans les Savoie, en Isère ou dans les Alpes Maritimes, des hommes originaires de contrées éloignées des frontières. La Haute-Savoie voit beaucoup de Bergamasques.

Il est fréquent que les « piume al capello » soient coupées alors que les soldats déjeunent dans un restaurant, par exemple. On a même vu des enfants planter des plumes de poule dans des crottes de chiens devant l’entrée de garnisons italiennes.

 

Un événement montre bien l’attitude de la troupe d’occupation par rapport aux Juifs. L’armée italienne décide seule des opérations de police à mettre en œuvre dans sa zone d’occupation. Les autorités militaires italiennes dénient tout droit de police aux préfets, ce qui ne va pas sans grincement de dents. Le général Ambrosio envoie (depuis Rome) une note (n°880/A.G.) très claire le 1er mars 1943 au général commandant la IVè Armatta : « … Je vous informe que les procédures d’arrestation et d’internement des juifs de quelque nationalité qu’ils soient, résidant en France, dans la zone occupée par nos troupes restent du ressort de nos autorités militaires. Je vous informe d’avoir chargé Colfran d’exiger du gouvernement de Vichy la suspension des arrestations et des internements des juifs effectués jusqu’à ce jour et d’ordonner aux préfets d’éviter d’intenter de telles procédures. » Le général termine en disant que, pour le moment, il n’est pas question d’arrêter les préfets. Cette circulaire vient juste après les événements survenus à Annecy la semaine précédente.

En effet, le 22 février 1943, les gendarmes français appréhendent 25 juifs étrangers, qui se trouvent au 517è G.T.E. d’Annecy. Tous sont internés dans les locaux de la gendarmerie d’Annecy, à deux pas de la préfecture, en attente de leur déportation vers l’Allemagne, ordre du préfet.

L’occupant est mis au courant. Le général Di Castiglioni informe immédiatement de cette arrestation le général Vercellino à Menton. Le général donne l’ordre à une compagnie de chasseurs alpins italiens en garnison à de Galbert (Annecy) de libérer les prisonniers. Le commandant de gendarmerie refusant d’obéir aux ordres de l’occupant, l’officier fait encercler les bâtiments. Il menace de faire usage des armes si l’officier de Gendarmerie s’obstine. Les 25 juifs, tous âgés entre 20 et 65 ans sont finalement libérés sans heurts et peuvent disparaître dans la nature.

En avril 1943, le même général explique que « Les autorités d’occupation doivent pas mesure de sécurité entièrement contrôler les mesures relatives aux juifs, sans distinction de nationalité ». Il envisage même l’arrestation des préfets désobéissants à ses ordres.

Ceci dit, tout n’est blanc bleu et des occupants vont attaquer des camps de réfractaires comme nous le verrons dans un prochain article.

 

 

*Le général Vercellino sera fait prisonnier avec son Etat-Major par les allemands le 12 septembre 1943 lors de l'opération Asche. Il est interné à Toulon, puis envoyé en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. Il quittera le service en 1945 avec le grade de Général d'Armée.

 

« Walter, une vie de résistances »

 

C’est le titre d’un ouvrage qui nous est proposé depuis avril 2012.

         Lorsqu’un ancien déporté livre son témoignage de ce qu’il a pu vivre dans les camps de concentration nazi, c’est toujours un document d’une valeur inestimable. Les jeunes générations ont besoin de connaitre ce drame humain engendré par l’idéologie nazie.

Venu au monde dans une famille antifasciste italienne, il est arrivé en France à l’âge de 4 ans. En 1940, Walter Bassan arpente le quartier de la Prairie à Annecy avec ses copains, tous anti pétainistes. C’est ainsi que lui-même au printemps 1943 adhère au cercle des Jeunesses communistes. Il n’a pas encore 17 ans. Durant un an, avec d’autres camarades, il rend des services à la Résistance annecienne au sein de la compagnie F.T.P. 93-27. Le 23 mars, ils sont 25 jeunes communistes arrêtés à la suite de la trahison d’un des leurs par les policiers français, (voir Si l’Echo de leur voix… publié par les AFM.D en février 2012).

Après l’Intendance à Annecy, la prison Saint-Paul à Lyon, tous sont déportés, 14 meurent outre-Rhin, dont Serge le frère de Walter. Ce dernier arrive à Dachau le 2 juillet 1944 et va connaître, après la quarantaine, le Kommando de travail de Kempten-Klottern. Là, chaque jour « quel que soit le temps, qu’il pleuve qu’il vente ou qu’il neige ou que le soleil soit de plomb nous partions pour 12 heures de travail ininterrompu… » Ce régime s’ajoutant aux privations, aux coups, au manque d’hygiène, à la fureur des Kapos ou des SS, l’espérance vie diminuait chaque jour. Walter raconte également cette survie dans Derrière les miradors livre témoignage de la FNDIRP publié en 2011.Finalement, le 27 avril 1945, soit 13 mois après son arrestation, Walter connaît la liberté. « …Combattre pour la liberté, idéal qui a généré solidarité, entraide, discipline et courage. C’est grâce à ces valeurs que nous sommes restés en vie, tout autant à la chance de ne pas avoir reçu un coup mortel… (p.76) »

De retour en France, Walter reprend son travail et s’investit dans des organismes d’entraide humanitaire ce qui entraine son entrée à la Sécurité sociale en 1947, organisme où il travaillera jusqu’à sa retraite, sauf 4 mois pour raison de service militaire qu’il n’aurait pas du effectuer !

 

            Si 90 pages sur 110 sont consacrées aux grandes lignes de la vie de Walter, les 20 dernières sont l’affirmation puissante de ses convictions politiques. Il rappelle son « travail » au sein du Concours scolaire national de la Résistance et de la Déportation durant 10 ans. Je sais de quoi il parle pour y avoir participé, à tous les niveaux, durant 20 ans. Il est clair que sans l’engagement au début de certains enseignants et résistants ou déportés, (oubliés dans ce livre), sans l’engagement du Conseil général de Haute-Savoie, ce concours ne serait par devenu ce qu’il est de nos jours. Walter y travailla grandement et avec succès, bien entouré.

Quant au film dont il est la « vedette », ses mises au point sont intéressantes. Je partage grandement ses idées quant aux créations du CNR que nous devons défendre bec et ongles, mais en tant qu’enseignant, respectueux d’une certaine déontologie, je refuse d’utiliser des jeunes scolaires pour mener un combat politique personnel, comme j’ai pu m’en rendre compte dans ce film. Il nous faut forger la conscience citoyenne en affirmant haut et fort les valeurs fondamentales de notre démocratie et de notre République.

D’autre part, il me semble que le combat pour la démocratie est permanent et nullement lié à tel ou tel chef de l’Etat. (Je n’ai pas approuvé la démarche du candidat en 2007 ; je ne suis pas davantage pour un libéralisme économique sauvage et je continue de penser avec force qu’il faut remettre l’Homme au centre du système). «  Ma volonté d’expliquer cette page sombre de l’Histoire s’inscrit dans la fidélité à l’engagement politique qui a été le moteur de ma vie. La violation des droits humains suscite en moi un état d’indignation permanente. J’ai été et je demeurerai jusqu’au bout, un révolté », écrit Walter page 15. Si nos buts sont les mêmes, les méthodes employées sont différentes.

            En tous cas, remercions Claire Rösler pour son travail et la qualité de son texte et les éditions Neva pour avoir permis cette publication. Encore une fois, les générations actuelles et à venir ont besoin du témoignage sur ce que furent les années quarante. De plus, tout engagement politique est respectable, voire souhaitable dans une démocratie digne de ce nom. Walter Bassan « engage sa liberté créatrice en vue d’apporter sa pierre à l’édifice d’une société plus juste ».

 

Michel GERMAIN

Agrégé d’Histoire

Il y a 70 ans, 1942

Une grande déchirure…

 

            En effet cette année 1942, la France connaît une évolution certaine par rapport à l’Etat français et aux forces d’occupation. Et la Haute-Savoie y fait écho.

 

 

En février, le mouvement Combat arrive en Haute-Savoie. Marcel Peck rencontre Jean Marie Saulnier, restaurateur avec son épouse Flora à l’Auberge du Lyonnais. C’est là que le mouvement est créé. On y retrouve des hommes Richard Andrès, le notaire Georges Volland et un certain Montréal comme cadres. Bon nombre de ces cadres sont issus du mouvement Coq enchaîné, plongeant lui-même ses racines dans la Franc-maçonnerie et notamment dans la loge Allobrogie.

Par la suite le mouvement prenant de l’ampleur, Vallette d’Osia, Hubert Clair, Tom Morel, pour l’AS, Simon et son corps franc, Albert Lyard et Vaillot pour le N.A.P. et Négro pour le service social, puis Blanc responsable des M.U.R. rejoindront le mouvement. L’auberge du Lyonnais devient alors une plaque tournante de la Résistance et le point de chute des journaux clandestins distribués dans tout le département.

Parallèlement le mouvement « Francs-tireurs » se structure, surtout dans le Chablais, grâce à une forte implantation communiste bien antérieure à la guerre.

 

Une sale affaire pour Vichy

            Pour les 85 ans du maréchal, le général maire d’Annecy fait planter un tilleul square Jean Jacques de Nemours, commémorant aussi la visite du chef de l’Etat français en septembre 41 ; cérémonie « grandiose ». Pour commémorer le 1er mai, Fête du travail que refuse Vichy, La France libre depuis Londres demande aux Français de « défiler silencieusement et individuellement le vendredi 1er mai à partir de 18 heures 30 devant les statues de la République ou les mairies ».

            Le 1er mai, il se forme dans notre département de nombreux défilés devant les mairies, mais c’est celui d’Annecy qui va avoir le plus de conséquences. Vers 18 heures 30, des gens forts connus sur la place, notamment François de Menthon et Charles Bosson fortes personnalités, défilent silencieusement. Des membres du S.O.L. notent les noms de ces « indésirables ».

            Dans la nuit, deux autres « indésirables » (mot en vogue alors) arrachent l’arbre du maréchal. Sacrilège ! Non contents, les deux « malfaiteurs » Zéphirin Furlan et Guy Gervais, versent un pot de minium sur la tête de la statue de Saint-François de Sales, place aux bois. « Elevé à la pourpre cardinalice », selon le mot de Paul Viret, le saint homme était devenu le saint-patron des S.O.L. sans que ces derniers lui demandent son avis, ce qu’il aurait certainement refusé.

Devant ces deux « attentats », les gouvernants locaux organisent des cérémonies de réparation, où se précipitent les soutiens au régime.

 

            Mais la grande affaire reste à venir. Furieux, le S.O.L. de Gaston Jacquemin va se venger et faire voir à tous de quel côté est la force et la légitimité. Ceux dont Paul Viret dit qu’il s’agit d’une « chevalerie errante des temps nouveaux préparant une nouvelle croisade » vont amener monsieur le comte dans un traquenard. Finalement, François de Menthon, (futur garde des sceaux en 1944) parvenu à la mairie, où il est soit disant attendu par le maire Cartier, est empoigné par des S.O.L. qui le plongent dans le bassin entourant la fontaine (actuellement square Stalingrad, raccourci de l’Histoire). Certains prennent des photos. Cet incident, somme toute minime va avoir de grandes conséquences, grâce à l’action de deux syndicalistes Isnard et Viret. Ces derniers actionnent vigoureusement la ronéo et les courriers. L’affaire prend de plus en plus d’importance. La justice s’en mêle vu que Monsieur le comte a porté plainte. La radio de Londres en parle tout comme les journaux clandestins diffusés dans toute la France. Les tracs se multiplient et Antonin Vergain, chef de la Légion, tout autant que Gaston Jacquemin chef du S.O.L. et Edouard Dauliac préfet sont débordés. Darnand, inspecteur général des S.O.L. intervient en vain. Il est même convoqué par le juge d’instruction de Cusset, alors qu’il est sur le front russe (avec les Allemands). Finalement poursuites et dossiers sont enterrés en août 1943.

Mais ce qui important c’est que cette affaire a entraîné une évolution de nombreux Savoyards vers la Résistance, comme on a pu le voir dans les vallées de Thônes, très chrétiennes. Pétain, Laval, Darnand et consort font de moins en moins recette.

 

Le 22 juin, Laval souhaite la victoire de l’Allemagne, ce que personne ou presque ne veut ici. Dans la foulée, il lance la Relève. Enorme échec dans ce département grâce aux « conférences clandestines » d’anciens prisonniers évadés (M.R.E.F.), aux actions des sédentaires tant de Combat que de Francs-Tireurs et des syndicalistes relayant Pierre Lamy inspecteur du travail.

 

Et puis, il y a Savigny…

            Dans l’été 1941, le Gouvernement créé des G.T.E. homogènes. En janvier 1942, la circulaire n°76 du Ministère de l'Intérieur prévoit l'affectation dans des camps de travail de tous les Juifs étrangers résidant en France. Pour ce qui est de la Haute-Savoie, un camp est ouvert à Savigny, sur les pentes est du Vuache, c’est le groupe homogène 514.

La rafle du Vel d’hiv, fortement médiatisée depuis, a fortement occulté ces rafles dans tout le pays.

            Le gouvernement de Vichy ayant conclut un accord avec les autorités allemandes de Paris, S.S. notamment, selon lequel 100 000 juifs étrangers résidant en zone libre devaient être remis aux allemands, Vichy décide de déporter les travailleurs juifs étrangers des "groupes homogènes", le 23 août 1942. Un train parti de Toulouse fait le ramassage, tout en roulant vers Drancy. Les 104 travailleurs du camp de Savigny sont amenés à Ruffieux, où se trouve le "groupe homogène juif" pour la Savoie (qui compte 56 hommes). Pendant ce temps d’autres juifs étrangers sont ramassés dans tout le département.

Le camp de Savigny ferme en août 1942, tombe dans l'oubli. Ce sont donc au total 164 étrangers de confession juive raflés en Haute-Savoie, qui sont expédiés à Drancy par les autorités de Vichy. Tous seront déportés et gazés à Auschwitz-Birkenau. Il n'y eut qu'un seul survivant selon Serge Gobbitz.

 

En fin dernière étape de cette année 1942, l’occupation italienne. En novembre, les troupes alliées débarquent en Afrique du nord. Hitler donne l’ordre de dissoudre l’armée d’armistice et d’envahir la zone sud. Conformément aux accords passés entre le Reich et Mussolini, les départements frontaliers sont occupés par l’armée italienne. C’est ainsi que l’on voit arriver chez nous des troupes de la IVè Armata.

C’en est fini du mythe Pétain. La rupture est consommée. Ainsi cette année 1942 est très importante dans l’évolution des mentalités et de la prise de consciences des Haut-savoyards. Tous ne s’engagent pas encore clairement, mais le plus grand nombre est prêt à le faire, même s’il reste pour l’heure sur leurs gardes. Encore une fois, s’engager dans un combat qui peut apparaître encore à certains comme incertain n’est pas chose facile.

LE DRAME DE SAINT-EUSTACHE

 

            L’armée allemande et son cortège de nazis, Gestapo, Schutzpolizei, SS et autres douaniers ou Feldgendarmes sont arrivés en Haute-Savoie le 8 septembre 1943. Depuis cette date, les arrestations et les déportations se sont multipliées. Internements, violences exécutions ont été le lot quotidien des citoyens d’ici.

            Le soir de Noël 1943, l’ennemi donne la pleine mesure de sa violence et montre très clairement jusqu’où il est prêt à aller pour éradiquer le « terrorisme » dans notre département, comme dans tous les pays qu’il occupe. Habère-Lullin, dont nous avons parlé dans un précédent numéro, ce sont 24 jeunes fusillés puis brûlés, le fromager du village fusillé sur le pas de sa porte et 6 autres jeunes décédés dans les camps de concentration, soit au total 31 victimes de la barbarie nazie. Ce qu’on ignore, mais ce dont on se doute, c’est que ces morts ne seront pas les derniers. En effet…

 

     Très tôt le matin du mercredi 22 décembre, Jean Couttin, agriculteur à Entredozon, hameau de la vallée du Laudon, entre Saint-Jorioz et Saint-Eustache, charge des caisses de munitions en compagnie de Joseph, alias Jules. Jules et Jean se hâtent car il faut encore monter ces caisses au moulin de Lavray, où Simon et ses gars doivent les récupérer.

            Vers 8 heures, un véhicule allemand stoppe devant la ferme. Il s'agit d'une traction, immatriculée WH 598012, propriété de la Wehrmacht. A son bord, trois hommes : l'adjudant major Gutmann, le caporal chef Arnat, chauffeur, et l'interprète Albert Gebert, suisse allemand, connu dans la région. Ce dernier demande à la fermière s'il y a des maquis dans le secteur : réponse négative. Rassuré, il demande encore s'il peut acheter des œufs et de la volaille. En effet Noël approche et les occupants sont en quête de victuailles pour les réveillons. La fermière répond négativement, mais ajoute aussitôt que cela lui paraît possible au chef-lieu.

            Jules emmène ensuite le véhicule bâché au moulin, au lieu-dit le Lavray. Ce moulin est la propriété du maire de Saint-Eustache, nommé par Vichy, Grégoire Jean Armataffet. Pendant ce temps les trois Allemands font la collecte des provisions de réveillon.

Tandis que les occupants se ravitaillent, et qu'il commence à "neigeotter", François Servant dit lieutenant Simon, John Dujourd'hui et Maurice Destemberg quittent Thorens avec un camion de 4 t environ réquisitionné, avec consentement à M. Ramade.

En passant à Annecy, Simon récupère Edouard Peccoud, alias Quino. Il neige abondamment. Les maquisards arrivent au moulin du Lavray à 11 heures trente. Les caisses sont rapidement chargées.

Le meunier propose aux jeunes de rester à déjeuner. Le drame se noue à ce moment là.

 

Simon et Destemberg accrochent leurs vestes de cuir dans le couloir d'entrée ; puis tout le monde s'attable. Tout à coup, sans que personne n'ait pu esquisser le moindre geste, le major Gutmann et l'interprète suisse sont dans le couloir. Venus à pied, par le chemin enneigé, personne ne les a entendus approcher. L’officier demande les papiers. Chacun s’exécute mais Albert Gebert entreprend de tâter les vestes pendues dans le couloir et y découvre une grenade. Le meunier affirme que ces vestes appartiennent à des bucherons italiens qui travaillent dans le secteur. Le major allemand demande à téléphoner à la Kommandantur. Grégoire et le major se dirigent alors vers le bureau. C'est le moment que choisit le jeune lieutenant Simon pour bondir sur l'interprète qui vient de sortir son arme et réussir à l’abattre. John et Maurice, sautant par la fenêtre, récupèrent leurs armes restées dans le camion. Dans la fusillade qui s’en suit, le major est tué. Les maquisards réussissent ensuite à abattre le chauffeur resté dans le véhicule un peu plus haut sur la route.

Simon décide de mettre les corps (délestés des uniformes et de l’argent) dans la voiture et de tout faire disparaître dans le lac. Quino trouve refuge chez des amis, Jules et le meunier nettoient la cuisine. Vers 14 heures 15, le camion, conduit par John, suivi de la traction pilotée par Simon, se présente à l'entrée de Monetier, à la hauteur de la Scierie Volland. Les ouvriers sont en train de déplacer une bille de bois. Celle-ci est en travers de la route. Simon pense à un barrage allemand, recule rapidement, jette la voiture dans le fossé et monte dans le camion avec Maurice. Tous arrivent à Thorens sains et saufs.

La mairie de Saint-Jorioz, informée par le scieur, prévient la gendarmerie. Un des scieurs, habitant le hameau du Cruet, et qui a vu passer le camion raconte tout aux gendarmes qui enquêtent. Il est 17 heures. Ceux-ci trouvent le véhicule, là où le lieutenant Simon l'a placé et font un rapport circonstancié, sur l’état de la voiture, les morts et même les victuailles trouvées dans le coffre. Comme il s’agit d’un véhicule allemand, la Feldgendarmerie d'Annecy arrive bientôt sur les lieux. Dans la nuit, il est environ 19 heures, les Allemands transportent les corps dans une camionnette et embarquent la limousine.

 

            Le maire de Saint-Eustache est inquiet. Il veut éviter les représailles. Sur les conseils du curé, il se rend à la gendarmerie avec Jules, commis résistant. Tous deux font une longue déposition racontant leur vérité. Il va de soit que la Gestapo enquête et, le 28 décembre, le maire est enfermé à Saint-François.

     Le jour de Noël, l’abbé Savigny, curé de la paroisse, conseillé par le sous-préfet de Saint Julien, Monsieur Guillaume, se rend à Lyon pour rencontrer l'intendant de police Heil, venu déjà à plusieurs reprises et tout récemment à Annecy. Tous les efforts de l'ecclésiastique resteront vains.

     Au PC de l'AS, on prend des dispositions. On évacue discrètement tout le matériel, les armes et les munitions planquées dans le vallon du Laudon. Tout est stocké dans la résidence secondaire du notaire Volland. Jules, qui a disparu 48 heures revient au moulin le 27.

 

     Jeudi 30 décembre, un petit détachement allemand monte à Saint-Eustache. Les véhicules stoppent devant la mairie. L'officier surgit dans le café Cottard et demande violemment à la cantonade où se trouve le moulin Armataffet. Les consommateurs sont bien obligés de répondre et d'indiquer le chemin. Lorsque les Allemands redescendent vers la Croix, les consommateurs, sortis du café, grimpent dans le bois et cherchent à savoir ce que font les soldats. Mais ceux-ci les apercevant, ouvrent le feu tout en continuant à descendre. L'officier, de retour à Annecy, affirme dans son rapport que les bois de Saint-Eustache fourmillent de terroristes.

Gestapo, Feldgendarmerie et SS décident de monter une expédition. Dans la nuit, il neige abondamment.

 

     Vendredi matin, vers 8 heures, les Allemands sont de retour : l'opération Saint-Eustache est menée militairement. Des troupes grimpent en camions depuis Saint-Jorioz, d'autres descendent du col de Leschaux, via la Chapelle Saint-Maurice. Le village est encerclé ; chaque hameau est investi : Dran, Le Cruet, Puget, le Lavray, Entredozon même… Le vallon est totalement quadrillé. La nasse est en place. Les soldats entrent dans toutes les fermes. Les paysans qui se rendent à la "mène du lait" sont arrêtés, ainsi que ceux qui sont déjà à la fruitière, avec André Hudry, le fruitier. Les soldats allemands pillent la fromagerie, vandalisent la mairie, pillent et volent tout ce qu’ils peuvent dans le bureau de tabac, l’épicerie et les fermes visitées. La liste des vols établie par la Gendarmerie est longue. Même du bétail est emmené et des fermes sont incendiées. Pour en savoir plus, lire Le sang de la barbarie (Editions de La Fontaine de Siloé), ainsi que l’ouvrage collectif réalisé dans la commune La tragédie de Saint-Eustache par Guy Pégatoquet, Michel Folliet et Joseph Tilliet. Dans la cour de l’école, les gestapistes de Gromm vérifient les identités d’une cinquantaine d’hommes.

 

            Vers 13 heures, la rafle est terminée. Les Allemands embarquent à Annecy 28 personnes : Eugène Barithel, Marius Barat, Fernand Berod, leon berthet Joseph Berthet-Bonguet, Rémi Bonaventure, Léon Chappet, Claudius Chappeluz, les trois frères Cottard, René, Alexis et Louis, Flavien Demaison, René Ducret et son frère Jean, Pierre René Ducret, Philippe Garin, Jean Gros, François Gros, André Hudry, Francis Hudry, Francis Lachenal, Jean Marie Léger, Marcel Lionnaz-Perroud, Antoine Mailland, Jean Pegatocquet, Arsène et Joseph Reignier et Raymond Siméon. Tous sont enfermés à Saint-François, dans une grande salle. 4 sont libérés le soir même (Léon Berthet, André et Francis Hudry et Marcel Ionnaz-Peroud). Pendant deux jours les détenus sont bastonnés et interrogés. Le 2 janvier au matin, les SS les rassemblent dans la cour et les convoient jusqu'à la gare toute proche.

           

            Un train les emmène à Compiègne. On ignore alors qu’il y a là, dans une ancienne caserne, un centre de triage, voire de stockage avant les départs vers l’Allemands et ses camps, que l’on croit de travail. Joseph Reignier et Henri René Cottard meurent à Compiègne. Pour les autres, après 18 jours d’attente, un nouveau train les emmène vers les camps de la mort. Ils font partie du convoi parti de Compiègne le 22 janvier : 2 006 déportés entassés dans les wagons plombés.

Le 24 janvier, le convoi s'immobilise à Buchenwald. "Jedem das Sein". Les raflés de Saint-Eustache sont dispersés dans les multiples baraques au hasard de l'ordre germanique des camps. Le 23 février nouvelle dispersion. Sept d'entre eux sont emmenés à Mauthausen, neuf sont dirigés sur Flossenburg, au cœur de la forêt de Bohême, trois sont envoyés dans les tunnels de Dora, alors que trois restent à Buchenwal.

Le 8 mars 1944, Flavien Demaison, qui fut pour nous un irremplaçable témoin, se retrouve dans un petit Kommando de travail à Steyr-Munichholz. Ce Kommando dépendant de Mauthausen, ne comprend que 600 déportés environ travaillant dans les usines Stey-Daimler. Flavien travaille durement à la construction d'abris en béton armé. Tantôt à la bétonnière, tantôt au marteau piqueur, il est harassé par les journées de 12 heures, le ventre vide. Après une semaine de travail nocturne, suit une semaine de jour. Il reste là jusqu'au 15 août 1944. A cette date, toujours en vie, il est transféré à l'usine des tracteurs de Steyr-Daimler. Le travail est un peu moins pénible, mais les hommes sont faibles. Heureusement à trois reprises, le Savoyard peut lire des tracts clandestins, rédigés en français, qui tentent d'informer les déportés sur l'évolution de la guerre.

            Le 8 mars 1945, cela fait un an qu'il est arrivé ici. Il est transféré à Gusen II, usine d'armements. Les 22000 détenus travaillent à la fabrication de mitraillettes et autres armes qui serviront contre les Alliés. Flavien se souvient :

"On se demande pourquoi on est revenu ; comment on a pu tenir si longtemps; le travail qu'on a fait, recevoir des coups presque tous les jours, avec ce qu'on avait à manger. Le matin, il y avait du soi-disant café. A midi, une gamelle de soupe, mais la ration n'était jamais complète. Une soupe que mon chien ne mangerait pas maintenant. Le soir, un bout de pain et de la margarine... Il y avait deux crématoires qui fumaient toute la journée... Ceux qui ne pouvaient pas travailler, ceux qui mouraient tous les jours, étaient brûlés..."

Le 28 avril 1945 à 18 heures 30 de retour de l'usine, Flavien apprend du chef de baraque que tous ont été libérés. Aussitôt commence une séance de coiffure et de rasage. Le lendemain les détenus reçoivent un colis de 5 kg de la Croix Rouge, avant de partir à pied à Mauthausen distant de 90 km.

A Mauthausen, l'attente se poursuit jusqu'au 5 mai. A 4 heures de l'après-midi, les Américains entrent dans le camp. Tous ont le sentiment d'être sauvés du chaos. A quelques temps de là, Flavien se retrouve à Linz. De là, un samedi soir, un avion le transporte à Paris. Il descend à l'hôtel Lutetia en compagnie de nombreux déportés. Lundi matin, le train l'emmène vers Annecy et sa famille. Il arrive le 22 mai à Saint-Eustache, après 17 mois de déportation. Il retrouve son monde, mais des vingt quatre hommes du village embarqués par ce froid vendredi de décembre 43, sept seulement sont revenus: Jean Marie Léger, Philippe Garin, Claudius Chappeluz, François et Jean Gros, Joseph Berthet-Bonguet l'employé du moulin et Flavien Demaison.

            Saint-Eustache reste à tout jamais une plaie béante aux cœurs des Haut-savoyards. Tous les disparus des camps ont leurs noms sur l’obélisque de granite monument aux morts du village ; une plaque scellé sur le mur de la mairie rappelle ce drame, que personne ne peut, ne doit oublier. Et une pierre grise sous la neige plantée en contre bas du village monte la garde.

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